Qui suis-je?

 
 
asperger

 

La vie nous parle souvent très tôt de promesses. Nous y sommes tous passés, devant les parents, les proches, nous promettant les plus glorieux avenirs, jurant que nous n’avions plus qu’à conquérir le monde alors que nous le découvrions encore pas à pas.

 

Bien peu font la démarche de se conquérir eux-mêmes avant tout. Conquérir le monde n’aurait de sens que pour en faire un lieu meilleur pour tous, sinon pour nous-mêmes. D’où cette question qui me frappa un jour, que puis-je apporter, peut-être pas au monde, mais à mes illustres congénères humains ?

 

Que puis-je apporter ?

 

Qu’est-ce que je veux leur apporter ?

 

Notre petit milieu de l’autisme est si souvent farci de grands mots, de certitudes formulées par de grands spécialistes, dans un temps où pourtant les autistes ayant pourtant la capacité de s’exprimer par eux-mêmes ouvrent timidement la bouche.

 

Car nous n’avons que nos témoignages à apporter. Plus nous parlerons, échangerons nos expériences, plus nos voix s’uniront.

 

Je n’ai que mon expérience à offrir, et c’est déjà pas mal, non ?

 

Nul n’osera ici, moi la première, affirmer que toute expérience offrira l’espoir d’un chemin tracé et tranquille. Encore faut-il le trouver au départ, le reconnaître, pourquoi pas même l’accepter, et tenir le cap. Et aussi prendre conscience qu’aussi avancé nous soyons sur la route, le chemin ne s’arrête jamais vraiment. La vie n’a rien d’acquis.

 

Certains diront que la vie devient plus facile lorsque l’on trouve son chemin et qu’un handicap n’empêche pas de l’arpenter, et c’est un peu vrai ! Du moment que vous trouvez votre rythme de marche.

 

A titre personnel, je pense avoir trouvé mon chemin , ce qui m’a grandement aidé à apprendre à me connaître. Je perçois encore ce qui me reste à parcourir, et comme tout un chacun, je suis prise dans le feu des émotions contradictoires, mêlées d’incertitude et d’excitation.

 

Mais vous ne sauriez prendre des conseils de vie d’une inconnue, pas vrai ? Apprenons à nous connaître, voulez-vous ?

 

Mon nom est Céline et j’ai eu un sacré handicap de naissance, je suis née en France. L’un des pires endroits du monde pour y naître autiste. Car notre pays malgré ses qualités a accumulé un sacré retard sur la connaissance et la gestion du sujet face à bien d’autres dans l’Europe et même le monde. Si bien qu’il me fallut attendre mes 36 ans pour obtenir un diagnostic d’Asperger.

 

Fort heureusement, je n’attendais pas d’avoir cet âge pour entamer un travail sur moi-même, quoique je me heurtais à de nombreux murs. Celui d’avoir la sensation de ne pas avoir de choix à faire, l’urgence de trouver un moyen d’arrêter de souffrir… Combien de fois me suis-je sentie comme abandonnée au milieu d’un brasier, en feu, hurlant. Pourtant, pas moyen de connaître la raison d’une telle douleur, sans origine apparente. Une douleur qui atténue les sens, les priorités, les objectifs, si bien que lorsqu’on me harcelait de ces questions qui provoquent des paniques, « Qu’est-ce que tu voudrais dans la vie, ce que tu voudrais faire ? Qu’est ce que tu as de plus important pour toi ? C’est quoi ton objectif dans la vie ? », ma réponse restait invariable « Je veux arrêter de souffrir ! »

 

Tout ça pour une réponse qui me heurte encore : « Mais c’est pas un objectif, ça ! »

 

Désolée, je n’ai jamais dit que toute expérience vécue était un chemin de fleurs, surtout quand il démarre au milieu d’une décharge. Oh, comme cette réponse m’a fait me sentir aliénée et approfondissait encore mon mal-être ! Il y a eu tant de ces moments où le mental influait négativement sur le corps. Être isolée de la compréhension du monde extérieur, c’est encore gérable, mais si on l’est en plus d’une famille qui ne le comprend pas… ou ne veut pas le comprendre. Au premier abord, il est plus facile de donner des coups de pieds au cul à quelqu’un pour le faire rentrer dans le rang. Autant vous le dire, ça n’a pas marché.

 

Et me voilà qui avance, de burn-out en burn-out, comme un cycle de marées engloutissant ma conscience, asphyxiant la fragile maîtrise que j’avais de moi-même, et dans ma panique de la noyade mes débattements pouvaient blesser les autres baigneurs ou mêmes les mains tendues pour m’aider…

 

Quand plus rien n’allait plus, j’arrêtais tout. Plus d’autre choix. Je dormais quelques jours, ça allait mieux, et me voilà relancée dans la course ! J’étais à bout de souffle. Arrivée au lycée, mes parents n’ont plus pu se permettre d’accepter que perde mon temps à dormir à la maison. Je fus donc réduite, pour ma survie mentale, d’échanger le confort du foyer pour un squat, juste pour dormir. Ça peut paraître dingue, la plupart des adolescents sèchent l’école pour sortir, s’amuser, se droguer, fumer, taguer, se retrouver dans l’intimité d’un couple, et moi je dormais. Quand mon père me déposait au bahut, au lieu d’user mes fesses sur les bancs des cours, je fuyais quelques jours en secret pour retrouver le sommeil.

 

Tenter de leur parler ne servit à rien. Dans le monde des aspies, il n’est pas rare que nous soyons tout d’abord catalogués de feignants, et je n’échappais pas à la règle. La plupart des gens n’éprouvent pas le besoin ou l’envie de se mettre à la place des autres, voir par leurs yeux. C’est compliqué, ça prend du temps et personne n’en a pour ça. De toute façon, nous sommes tous supposés avoir la même vision des choses.

 

Personne n’a pu comprendre que le monde social, le bruit, les incompréhensions, m’épuisaient, et que même au maximum de mes efforts je ne pouvais tout simplement pas imiter leur rythme de vie. A ce moment-là, il ne me fallait pas plus de quatre semaines pour générer une crise, un burn-out.

 

C’est plus ou moins à ce moment où je me débattais plus fort comme un poisson sur la berge que j’ai enfin suivi le parcours classique d’un autiste en roue libre. Le moment où la vie et son entourage ne lui laissent plus le choix. Bien sûr, le lycée et les parents ont fini par remarquer mes absences et ont cadenassé ma vie.

 

Privée d’un rythme qui soutenait ma survie, me voilà à l’un des stades les plus destructeurs de la vie d’autiste : intermittence en hôpital psychiatrique et camisole chimique.

 

23 ans et se sentir mourir un peu plus chaque jour… jusqu’à ce que.

 

Une rencontre avec un professeur de décodage biologique m’ouvre les yeux. Osons le dire, j’ai vécu une révélation personnelle majeure, qu’il existait des méthodes pour travailler sur le corps et la psyché humaine en dehors de l’influence des psychiatres et des médicaments aux effets annihilateurs et non guérisseurs.

 

La même année je rencontrais mon futur ex-mari. Il m’offrit enfin un cadre de sécurité et un lieu pour que j’entame un travail sur moi. En peu de temps je me sevrais de mes traitements et de la chimie médicamenteuse dans mon organisme. J’ai enfin commencé à me reposer et dormir quand j’en avais besoin.

 

Dans les deux ans qui suivirent, au milieu de mes rendez-vous de santé alternative, j’apprenais la méditation, le shiatsu, le décodage biologique, la naturopathie et toute la notion du projet sens autour de la programmation par nos expériences passées (surtout dans l’enfance) ainsi que la sophrologie et le rêve éveillé… entre nombreuses autres choses. Certaines me furent et me sont encore bénéfiques, d’autres me laissèrent plus dubitative. J’allais de mieux en mieux alors que les réponses à mes questions affluaient. A la fac de psycho, j’étudiais les préceptes des vieux maîtres et des jeunes novateurs comme Freud, Lacan, Jung, Praget…

 

Comment les choses ont changé ? En progression. Il ne suffit que d’un coup de pouce et d’un entourage adapté. Car je suis maman depuis, de trois enfants.

 

Autant ne pas mentir, ma fragilité des origines n’est pas éteinte, la fatigue est toujours présente, et s’occuper de ses enfants quand on manque d’énergie pour soi-même. La surchauffe guette au coin de la rue et l’équilibre se doit d’être entretenu avec rigueur et amour.

 

Cruauté du sort, les médecins sont plus compréhensifs envers les parents que les enfants. Les adultes ont droit à des congés maladie qu’ils peuvent dépenser en sommeil.

 

Je parlais du handicap de naître autiste dans un pays si retardataire, car voilà que mon fils entre au collège est semble familièrement inconsolable. Bien qu’identifié HPI dans son enfance, rien ne semblait justifier une telle réaction de chagrin face à un milieu social… à moins que…

 

Un diagnostic inconnu tombe sous mon nez, celui d’Asperger. Nombreux sommes-nous à ne jamais l’avoir soupçonné, faute d’en avoir seulement entendu parler. La question ne se posait plus, je demandais à poser un diagnostic à mon nom, et un an plus tard le résultat éclaira ma vie. Comme si un puzzle se complétait, rassemblant en une seule et même logique l’histoire de mes ressentis. Mes sur-stimulations sensorielles, mon incompréhension des mondes sociaux, le rejet, la fatigue chronique, les émotions à fleur de peau. Une clé de décryptage pour une nouvelle langue dont certains mots m’échappaient aléatoirement depuis tout ce temps.

 

La vie nous parle très tôt de promesses, que nous pourrions conquérir le monde.

 

Franchement, il est plus audacieux et aventureux de se conquérir soi-même.

 

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Mon cursus

Pour plus de détail sur mon ressentie suivez le lien :

“Pourquoi ?”- Ce qu’un diagnostic peut changer dans la vie d’un(e) autiste asperger